L'amour comme espace d'égalité

Il n’existe pas de notion « égalité » sans notion « différence ». En fait, l’égalité sous-entend  la différence. Le but de l’égalité est justement de garantir la différence.

L'AMOUR COMME ESPACE D'ÉGALITÉ 

 

 

Par exemple: quand on dit que les hommes et les femmes sont égaux, on dit en même temps que
a) les deux sexes sont différents;
b) qu’ils continueront à l’être;
c) et que, en fin de compte, ils peuvent garder leurs différences. Ou plutôt : que la différence est garantie.

Si l’homme et la femme peuvent garder leurs différences, c’est que, paradoxalement, celles-ci ne jouent aucun rôle décisif, puisqu’il existe un autre paramètre, un paramètre considéré plus important, plus décisif, plus haut que « homme » ou « femme », notamment: l’être humain. Hommes et femmes sont égaux comme êtres humains.
Le même raisonnement est applicable pour l’égalité entre noirs et blancs, entre  hétérosexuels et homosexuels, etc.  Le réponse philosophique et éthique contre l’antisémitisme n’est donc pas du tout que les juifs seraient plus importants ou qu’ils auraient droit à des privilèges étant juif, mais bien le contraire : le fait d’être juif n’étant pas relevant, il n’y a aucune raison pour discriminer.  

Donc, pas d’égalité sans différences à condition que ces différences soient en même temps « surpassées » par un paramètre plus décisif, un droit supérieur, une valeur plus haute.

 

LA RÉPUBLIQUE 

On vit dans une société de droits individuels, mais de plus en plus dans une société soucieuse de la garantie de droits et de différences de plus en plus personnels, pour ne pas dire privés, p.ex. dans les domaines de la sexualité, du couple, de la vie et de la mort (avortement - euthanasie). Ici, l’égalité est surtout l’égalité devant la loi. Ainsi donc, le mariage homosexuel vaut le mariage hétérosexuel.  

La République, et surtout la république laïque, est l’exemple suprême d’égalité devant la loi : on est tous des citoyens ayant les mêmes droits (et obligations), n’importe la couleur de la  peau, la classe sociale, la culture d’origine, la langue maternelle et, en fin de compte, les convictions de la vie. Ces différences, quoique garanties, sont « surpassées » par une notion, une valeur estimée plus importante : la République, c’est-à-dire la convivencia.

Cependant, un homme, une femme, un être humain, ne peut être réduit à ce statut de citoyen. On ne répond pas seulement à la loi. La vie consiste de plusieurs « espaces  d’égalité ».  Un espace qui ne laisse s’apprivoiser par la loi est l’amour.

L’OISEAU REBELLE

Pensons à  la “Havanaise”  dans le “Carmen” de Bizet:

« L’amour est un oiseau rebelle
Que nul ne peut apprivoiser,
Et c’est bien en vain qu’on l’appelle,
S’il lui convient de refuser !
L’amour est enfant de Bohème
Il n’a jamais connu de loi ».

Dans les genres dramatiques, épiques ou lyriques de maintes cultures, existe une histoire d’amour prototypique, une histoire dans laquelle l’amour pure est contrariée et même interdite par des critères comme la classe sociale, l’origine ethnique et la couleur de la peau, ou encore par le prestige et la tradition, et finalement par le cynisme d’intérêts pécuniaires et politiques. 

C’est l’histoire de Roméo et Juliette, de Tristan et Iseut, et tant d’autres prototypes, le terme prototype indiquant que l’amour interdite est de tous les temps  - et donc aussi du nôtre.


INSTINCT

L’amour est un espace d’égalité. Au-dessus de toutes les différences, se trouve l’amour pure, innocente: l’amour qui surpasse et réunit : races, nationalités, langues, convictions, classes, couleurs de peau ou autres origines.  L’amour compte en critères qu’on ne peut pas vraiment compter, qui ne comptent pour rien, faute de ne pas pouvoir les exprimer en argent, intérêts, traditions, pouvoir ou autres alibis et refoulements; les critères de l’amour se trouvent hors du hic et nunc et se nomment passion, altruisme, bonheur, immatérialité, et, ne l’oublions pas, instinct –  ce savoir hors catégorie, inné, qui ne s’enseigne pas et qui est donc par nature subversive. Assez de raisons donc pour les cyniques exigeant que l’amour tel quel soit canalisée, refoulée, sublimée, mise en boite.      

L’amour est un espace d’égalité littéralement hors loi.

Voilà pourquoi je propose d’écouter la chanson « If I Were A Carpenter » du chanteur-compositeur américain Tim Hardin. L’histoire est toute simple. Un homme et une femme s’aiment, mais lui se questionne sur la vraie profondeur de leur amour. Alors, il demande a sa bien-aimée :  imagine-moi comme charpentier (donc une personne humble) et imagine-toi comme une vraie Dame (« lady » en anglais). Dans ce cas-là, est-ce que tu m’aimerais encore ? C’est-à-dire : est-ce que notre amour est vraiment l’amour tel quel, pur, l’amour comme égalité ?  

Eddy Bonte © 
First published on this site 31st August 2016