UN SOUPER MONOTHEISTE

Armés du Pravda et de la Vraie Morale, le judaïsme, le christianisme et l’islam occupent tous les terrains de la vie quotidienne, y compris celui de la cuisine et de la culture alimentaire. 

Un exemple: en 2009, les organisateurs du «marché juif («mercat jueu») de la commune catalane Sant Climent Sescebes introduisent une nouveauté, «le souper des Trois Cultures» («le sopar de les Tres Cultures»)- eh oui, en majuscules. A cette occasion culinaire, vous pouvez déguster de «plats chrétiens, musulmans et juifs» («plats cristians, musulmans i jueus») dans l’ordre chronologiquement correct, donc entrée juif, plat de résistance chrétien et dessert musulman [1]. 

Sympa, non? Eh bien, NON, parce que cette invitation apparemment innocente et tolérante n’est rien d’autre qu’un mensonge et une tromperie.  Voici pourquoi.

1. D’abord, l’idée même qu’il existerait une cuisine religieuse est un exemple très fort de l’usurpation, oui, je dirais du détournement, d’un trait élémentaire, matériel et tout à fait naturel (et non pas surnaturel) de la vie quotidienne: boire et manger. Mais, occupés par la religion et donc rattachés à la Vérité Unique et la Morale Unique, boire & manger sont enlevés de leurs fonctions de base qui sont le besoin et la jouissance. 

2. Deuxièmement, il est cynique de présenter ce repas comme une harmonie interreligieuse de trois (!) plats, puisque la relation œcuménique entre ces trois cuisines est forcément du même niveau que l’œcuménisme entre ces religions elles-mêmes!

3. Troisièmement, c’est tout simplement un mensonge puisque ces trois religions monothéistes  ne sont pas favorables à une culture alimentaire, bien au contraire: ce sont les vrais champions de l’interdiction de la jouissance (sexualité, la danse…) et de la non-reconnaissance des besoins élémentaires de la vie matérielle. En plus, l’interdiction alimentaire se trouve au cœur même de leurs codes d’interdictions et de commandements. Deux religions interdisent le porc, une l’alcool; une troisième impose le poisson comme signe de renoncement; toutes sont en faveur du jeûne et du carême – même pur ceux qui souffrent de faim. Comme d’habitude, elles se contredisent, mais dans la pratique ils se mettent d’accord pour que la seule alimentation acceptable soit celle qui porte le tampon religieux: béni, hallal, kascher. Aussi se mettent-elles d’accord pour condamner tout ce qui est charnel, dont la viande et toutes les manifestations du corps, p.ex. la nudité, la sexualité et la danse. Boire et manger est un couple doublement dangereux au niveau charnel, comme (a) source de jouissance en période d’abondance et (b) besoin élémentaire quotidien. [2] 

4. En quatrième lieu, l’usurpation contient l’arrogance: ce n’est pas par hasard que religion et culture alimentaire sont présentées ici comme synonyme; en effet, on vous invite  à participer à une manifestation culturelle tandis qu’il s’agit d’un événement religieux! 

Finalement, il faut dévoiler l’endoctrinement sous-cutané au niveau linguistique et plus particulièrement grammatical quand on parle d’un souper «des trois cultures»  («de les Tres Cultures») et non «de trois cultures», la première formule indiquant qu’il n’y a que trois cultures! Avec Majuscule, cela va de soi. 

Tiens, mais quel serait le boisson à accompagner ce repas tri-culturel? Serait-ce trop délicat pour l’œcuménisme «culturel», puisqu’on n’en parle point?  

© Eddy Bonte (réd. 14062010) 

NOTES

[1] «El Punt del Fiesta», supplément du journal catalan «El Punt», 9 avril 2009. 

[2] Durkheim note à juste titre que beaucoup d’interdictions ou de rituels chrétiens n’ont aucune relation avec Dieu ou l’être spirituel, dont «l’isolement de la femme pendant les périodes de l’accouchement» et  «la plupart des interdictions alimentaires». Cité dans:  Marc Augé: «Génie du paganisme», p. 32, ed. Gallimard, série Folio